Message de l’Abbé-Primat au Saint Père François
Très Saint Père,
Quelle joie de pouvoir être ici, en votre compagnie, nous les responsables religieux des Congrégations de la Confédération des Chanoines réguliers de Saint Augustin ! Quel honneur d’avoir pu obtenir une audience auprès de vous pour échanger avec vous sur qui nous sommes, notre vie et nos attentes ! Quel bonheur de pouvoir être durant ce temps privilégié de rencontre auprès du guide spirituel de notre Église ! Cher Saint Père François : merci de nous accueillir dans cette simplicité toute fraternelle qui vous caractérise !
En tant qu’Abbé-Primat nouvellement élu (Chne Jean Scarcella, Abbé de l’Abbaye Territoriale de Saint-Maurice d’Agaune en Suisse), je suis heureux de présenter succinctement à Votre Sainteté notre Confédération de chanoines, ses membres et ses charismes.
Quelques brefs mots d’histoire pour commencer. Nous sommes en 1959 ! Il apparut que les exigences de l’apostolat d’alors devait à la fois donner et demander à l’Ordre canonial un renouveau d’activité, d’actualité. La diversité des ministères marquait l’identité d’action entre les différentes Congrégations canoniales répandues çà et là dans le monde, et n’avait pas, alors, amené les différentes Maisons canoniales à se grouper, restant séparées les unes des autres et même, inconnues les unes pour les autres.
Cet isolement pouvant s’avérer un jour préjudiciable, le Saint-Siège a émis le vœu que des liens plus étroits unissent désormais les familles canoniales, afin que tous aient conscience d’appartenir à une seule et grande famille spirituelle.
Ainsi les chanoines du Latran, ceux d’Autriche, du Grand-Saint-Bernard et de Saint-Maurice d’Agaune ont formé entre eux une Confédération appelée « Fœdus caritatis », qui les groupa en une même institution hiérarchique. Un document, appelé Constitution, déterminait le sens de l’union et en fixait les diverses modalités juridiques. Celui-ci avait été présenté au saint pape Jean XXIII par Mgr Charles Egger, Abbé et Procureur général. Celle qu’on peut nommer “charte de fondation”, a donc fait l’objet d’un document pontifical produit par Jean XXIII et daté du 4 mai 1959, un Bref apostolique : « Caritatis unitas ». Outre ses considérations intéressantes et fouillées sur Saint Augustin et la vie canoniale, le pape, ayant donc approuvé et confirmé l’existence de cette Confédération (ou Familles de l’Ordre des Chanoines Réguliers de Saint Augustin), a de plus confirmé les principes qui régissent la Confédération, se plaisant à relever quelques aspects essentiels qui la régissent, notamment la définition de l’autonomie de chaque Congrégation, la création d’un Abbé-Primat avec mandat de 6 ans, la tenue d’un Congrès international tous les 3 ans.
Par la suite, des statuts ont été rédigés et soumis au Saint Siège qui les a approuvés (mars 1968).
Permettez-moi de vous présenter maintenant, très Saint Père, les Supérieurs Généraux de nos 9 Congrégations affiliées au « Fœdus Caritatis », et une 10è en recherche d’adhésion. Je les cite selon l’ordre proposé à l’époque par le Souverain Pontife Jean XXIII :
1) CRL Chanoines réguliers du Latran (Congrégation fondatrice)
Mgr Franco Bergamin, Abbé Général
2) CRA Chanoines réguliers de la Congrégation d’Autriche (Congrégation fondatrice)
Mgr Johann Holzinger, Abbé Général
3) CRSB Chanoines réguliers du Grand-St-Bernard (Congrégation fondatrice – Suisse)
Mgr Jean-Michel Girard, Prévôt
4) CRSM Chanoines réguliers de Saint-Maurice (Congrégation fondatrice – Suisse)
Mgr Jean Scarcella, Abbé Général et actuel Abbé Primat
5) CRV Chanoines réguliers de Windesheim (Allemagne)
Mgr Maximilian Korn, Abbé Général
6) CRIC Chanoines réguliers de l’Immaculée Conception
P. Rinaldo Guarisco, Supérieur Général
7) CRMR Chanoines réguliers de Marie Mère du Rédempteur (France)
Fr. Jean-François Croizé, Supérieur Général
8) CRSV Chanoines réguliers de Saint Victor (France)
Mgr Hugues Paulze d’Ivoy, Abbé Général
9) CRVC Chanoines réguliers de la Vie Commune (Allemagne)
P. Richard Lehmann-Dronke, Prévôt
+) Les chanoines de la Mère de Dieu ( Lagrasse / France)
Mgr Emmanuel Lefébure du Bus, Abbé – Intéressés par la vie de la Confédération.
+) Chne Paul Pawlak, Prieur, et Provincial CRL (France-Belgique-Hollande), Secrétaire personnel de l’Abbé Primat et de la Confédération.
Un dernier mot, très Saint Père, pour vous relater, toujours brièvement, nos divers apostolats. Tout d’abord il faut dire que le fondement de notre vie religieuse est la vie communautaire, partagée entre la vie contemplative et active. Ainsi la liturgie et l’office divin sont, pour les chanoines, une œuvre de prédilection. De cela découlent nos divers apostolats dans les paroisses, nos sanctuaires et lieux de pèlerinages, les collèges, les missions au loin, l’hospitalité et l’accueil pour familles et jeunes, la vie en Prieurés, le souci de la transmission des cultures humaines et spirituelles, le développement de la culture par la beauté de nos identités marquées du rayonnement de nos diverses abbayes.
Voilà, Très Saint Père, cette petite présentation qui intervient quelques 70 ans après la fondation de notre Institution auprès de votre illustre prédécesseur, et qui se veut finalement une démarche un peu analogue auprès de vous, notre pape aujourd’hui ! Ainsi après nous être présentés, nous souhaitons, comme demandé dans notre demande d’invitation, dialoguer avec vous à l’aide de sujets qui nous préoccupent et que nous souhaitons vous exposer les uns et les autres, et surtout, recevoir ensuite de votre part un mot d’encouragement et une impulsion pour notre vie de religieux et notre Confédération.
Et, comme le relevait Saint Jean XXIII à l’époque « Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis ! », notre cher psaume 132 de la solennité de Saint Augustin.
Merci Très Saint Père !
DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS
AUX MEMBRES DU CONSEIL PRIMATIAL DE LA CONFÉDÉRATION
DES CHANOINES RÉGULIERS DE SAINT-AGUSTIN
Je suis heureux de vous accueillir à l’occasion de la réunion du Conseil primatial. Je vous salue, père abbé primat, et je vous remercie pour vos paroles, ainsi que vous, supérieurs généraux et le père secrétaire.
Votre Confédération a été instituée en 1959 par saint Jean XXIII. Cette structure, même si elle n’est pas de type juridique, est importante pour favoriser la communion entre les congrégations qui la composent et qui partagent le même charisme. En effet, les objectifs principaux de la Confédération sont d’unir les différentes branches de votre Ordre dans un lien de charité, de valoriser la signification évangélique de votre charisme et de vous aider mutuellement, surtout en ce qui concerne la dimension spirituelle, la formation des jeunes, la formation permanente et la promotion de la culture.
Même si chaque congrégation jouit de son autonomie, cela n’empêche pas les statuts confédéraux de prévoir des compétences qui favorisent un équilibre entre cette autonomie et une coordination appropriée qui évite, en tout cas, l’indépendance et l’isolement. L’isolement est dangereux. Il faut faire très attention à se préserver de la maladie de l’autoréférentialité et à garder comme véritable trésor la communion entre les différentes congrégations. Vous êtes bien conscients de vous trouver tous dans la même barque et que «personne ne construit l’avenir en s’isolant ou seulement par ses propres forces, mais en se reconnaissant dans la vérité d’une communion qui s’ouvre toujours à la rencontre, au dialogue, à l’écoute et à l’aide réciproque» (Lettre à tous les consacrés à l’occasion de l’Année de la vie consacrée, 21 novembre 2014, II, 3). Pratiquer la spiritualité de la rencontre: c’est essentiel pour vivre la synodalité dans l’Eglise.
Comme toute autre forme de vie consacrée, la vôtre doit également s’adapter aux circonstances du temps, des différents lieux où vous êtes présents et des cultures, toujours à la lumière de l’Evangile et de son charisme. La vie consacrée est comme l’eau, si elle ne coule pas, elle pourrit, perd du sens, elle est comme le sel qui perd sa saveur, devient inutile (cf. Mt 5, 13). La bonne mémoire est féconde, c’est la mémoire «deutéronomique» des racines, des origines. Nous ne devons pas nous contenter d’une mémoire archéologique, car celle-ci nous transforme en pièces de musée, peut-être dignes d’admiration mais pas d’imitation; au contraire, la mémoire deutéronomique nous aide à vivre pleinement et sans peur le présent pour nous ouvrir au futur avec une espérance renouvelée. Vous aussi — comme l’a écrit saint Jean-Paul II — «avez une glorieuse histoire à conserver et à raconter», mais surtout vous avez «une grande histoire à construire! Regardez l’avenir, dans lequel l’Esprit vous projette pour faire avec vous encore de grandes choses» (Exhort. ap. Vita consecrata, 25 mars 1996, n. 110).
La règle fondamentale de la vie religieuse est la suite du Christ proposée par l’Evangile. Assumer l’Evangile comme règle de vie, jusqu’à pouvoir dire avec saint Paul: «Ce n’est pas moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi» (Ga 2, 20). Que l’Evangile soit votre vade-mecum, de sorte que, en restant loin de la tentation de le réduire à l’idéologie, il reste toujours pour vous esprit et vie. L’Evangile nous ramène continuellement à placer le Christ au centre de notre vie et de notre mission. Ça nous ramène au «premier amour». Et aimer le Christ signifie aimer l’Eglise, son corps. La vie consacrée naît dans l’Eglise, grandit avec l’Eglise et fructifie comme Eglise. C’est dans l’Eglise, comme nous l’enseigne saint Augustin, que nous découvrons le Christ total.
Dieu nous a faits pour Lui et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en Lui (cf. Saint Augustin, Confessions, 1, 1). Pour cela, en tant que chanoines réguliers, votre occupation principale est la recherche constante et quotidienne du Seigneur. Le chercher dans la vie communautaire, reflet de l’être de Dieu et de sa remise et témoignage que «Dieu est amou» (1 Jn 4,8.16). Que la koinonia vous fasse sentir tous constructeurs, tisserands de fraternité. Chercher le Seigneur dans la lecture assidue de l’Ecriture Sainte, dans les pages de laquelle résonnent le Christ et l’Eglise (cf. Saint Augustin, Disc. 46, 33). Chercher le Seigneur dans la liturgie, en particulier dans l’Eucharistie, point culminant de la vie chrétienne, qui signifie et réalise l’unité de l’Eglise dans l’harmonie de la charité (Conc. Vat. II , Const. dogm. Dei Verbum, n. 25). Le chercher dans l’étude et dans la pastorale ordinaire. Le chercher aussi dans les réalités de notre temps, sachant que rien de ce qui est humain ne peut nous être étranger et que, libres de toute mondanité, nous pouvons animer le monde avec la levain du Royaume de Dieu. Telles sont les différentes voies d’une recherche unique, qui présuppose le chemin de l’intériorité, de la connaissance et de l’amour du Seigneur, à l’école de saint Augustin: «Ne sors pas de toi-même, entre constamment en toi; la vérité habite dans l’homme intérieur» (cf. De Vera Religione, nn. 39, 72; Confessions, 3, 6, 11). De cette façon, la lumière du Maître intérieur illumine pour nous les réalités temporelles.
Chers frères, ce temps de rencontre entre vous et avec le Successeur de Pierre vous aide à revisiter votre charisme et à renforcer la communion de vie sur l’exemple de la communauté apostolique primitive (cf. Ac 2,42-47). Et cette communion est aussi l’anticipation de l’union pleine et définitive en Dieu et la voie vers elle.
Je vous remercie pour votre présence et pour votre témoignage dans l’Eglise. Que la Vierge vous garde et intercède pour vous. Je vous bénis de tout cœur, vous et vos communautés. Et je vous demande de prier pour moi.