Départ de don Lorenzo Alcina (1939-2019)

Enfance
Comme il est difficile d’écrire sur lui au passé ! Il y a encore peu de temps, j’ai entendu sa voix, agréable comme toujours et se préoccupant de la communauté, la famille, l’Église…
Don Lorenzo est né la veille de l’Assomption de la Vierge Marie, le 14 août 1939 à Palma de Majorque dans une famille de quatre enfants (deux filles et deux garçons) d’un père majorquin et d’une mère française. Sa maman voulait que ses enfants parlent sa langue d’origine. Dès le début, Lorenzo, comme les autres enfants, a étudié le français. La famille était suffisamment aisée pour leur assurer une bonne éducation. Pour avoir une connaissance approfondie de la langue française, don Lorenzo a fréquenté les cours de la Sorbonne.
Ses parents avaient un hôtel. A l’époque, cette île magnifique n’était pas encore visitée par les touristes, comme elle l’est aujourd’hui. Sa mère, très pieuse, lui a transmis la foi catholique et les valeurs chrétiennes. La foi de sa mère, comme il le disait souvent, l’a marqué pour toute sa vie.

Adolescence
Après sa scolarité, selon la volonté de son père, il a étudié le Droit et les Lettres. Mais déjà, bien avant ses études supérieures, il portait dans son cœur l’appel de Dieu au sacerdoce ; évidemment, comme il le disait, à l’époque on ne refusait pas si facilement – comme maintenant – la demande de ses parents. Obéissant donc à la décision de son père, il a poursuivi sa formation juridique, qui après, lui a d’ailleurs été fort utile. Durant ses études, l’appel à la vie sacerdotale a grandi et a mûri en lui. Il partageait son appel au sacerdoce avec son frère (mort très jeune), qui lui-même avait une foi profonde et qui l’a soutenu dans ses décisions. Le jour où il a annoncé sa décision à ses proches n’a pas été facile. Son père lui a déclaré : « si tu choisis le sacerdoce, tu fermeras la porte de notre maison et tu ne la rouvriras jamais ». Il a tenu à sa vocation et la promesse du père s’est malheureusement réalisée.

Formation sacerdotale
Une nouvelle vie commence pour le jeune Lorenzo, non seulement parce qu’il commence à se préparer pour le sacerdoce mais aussi parce qu’il a été envoyé étudier à Rome. Cela a toujours été l’une des plus belles expériences de sa vie, de connaitre le centre du catholicisme. Toujours pieux et fervent, il a absorbé la science théologique et bien sûr l’ambiance de la Ville Éternelle, qui à l’époque, semblait plus lointaine, plus difficile à atteindre et plus mystérieuse que maintenant. C’était aussi le temps où il a pu créer des amitiés avec des personnes de l’Église du monde entier. Certaines amitiés ont duré toute sa vie et l’ont aidé, aux moments opportuns, à régler de nombreux problèmes ecclésiastiques mais toujours pour les autres, jamais pour lui-même. La façon dont il savait, toujours très discrètement, aider les autres et arranger des choses qui semblaient inarrangeables, était très impressionnante.
A Rome, il ne perdait pas de temps, il étudiait scrupuleusement les matières universitaires mais aussi la Ville elle-même ; il semblait parfois, qu’il en connaissait chaque église et chaque pierre.
Concernant son séjour à Rome, il aimait raconter deux anecdotes concernant les papes Jean XXIII et Paul VI. Quand il a entendu à la radio la mort de Jean XXIII, il a eu l’inspiration d’aller au Vatican pour rendre hommage au pape. Il a cherché toute la nuit comment il pourrait entrer dans la salle où se trouvait le catafalque, avec le corps du pape. Le lendemain, il s’est réveillé très tôt le matin et sans idée claire sur la façon d’y entrer, il s’est rendu au Vatican. Dès le matin, beaucoup de prélats y entraient et en sortaient. Don Lorenzo (encore séminariste) ayant un grand désir de prier auprès du corps de Jean XXIII et n’ayant pas la possibilité d’y accéder, a décidé de « hausser » sa position et s’est présenté avec assurance comme secrétaire d’un cardinal espagnol. Ainsi, a-t-il pu prier auprès du pape. En rentrant au séminaire (c’était le matin de bonne heure) il rencontre le recteur du séminaire qui s’étonne que son séminariste rentre à la maison à cette heure-là. Évidemment, il lui pose la question : « d’où viens-tu, de si grand matin ? » La réponse a été simple : « Mon Père, je viens du Vatican car je suis allé dans les appartements du pape, prier auprès du catafalque de Jean XXIII ». Le recteur l’a regardé avec commisération et lui a répondu : « Lorenzo je sais que tu as une bonne imagination mais je ne savais pas qu’elle était si grande ». Et notre Lorenzo, avec son bon sourire, n’a plus essayé d’expliquer son absence matinale.
L’autre histoire concerne le pape Paul VI. Une fois, le jeune étudiant Lorenzo se trouvait dans la basilique Saint-Pierre. Soudain, il voit qu’une porte s’ouvre et qu’un groupe de pèlerins de Madagascar monte les escaliers. Ne réfléchissant pas trop, il suit le groupe et finalement se retrouve dans une salle du Palais Apostolique, assis parmi les Malgaches. Une autre porte s’ouvre et entre le pape Paul VI. C’était une audience privée. A la fin, chaque personne pouvait saluer personnellement Paul VI. Lorenzo, dans la file, approche vers le pape et quand il se trouve en face de Paul VI, il se présente comme missionnaire à Madagascar ! Le pape l’a remercié très cordialement pour sa mission difficile et l’a encouragé en lui donnant sa bénédiction apostolique.
Il a fini l’université avec la distinction « Magna cum laude » et il a reçu l’ordination sacerdotale le 15 juillet 1967. Et puis il est retourné dans son diocèse.

Service sacerdotal
Il faut bien noter que le zèle pastoral l’a accompagné toute sa vie jusqu’à ses derniers instants. Tout de suite après son ordination, il a travaillé comme secrétaire personnel de deux évêques : Rafael Álvarez et Teodoro Úbeda. Cette période-là lui a permis de bien connaitre les prêtres du diocèse de Majorque ses joies et ses peines ainsi que le fonctionnement de cette province ecclésiastique.
Petit à petit, de pair avec l’expérience, d’autres charges se sont accumulées sur ses épaules. Il paraissait être un homme-orchestre : il faisait, avec un engagement total, tout ce que lui était confié. Dans le diocèse, on le surnommait « l’encyclopédie vivante ».
Comme professeur de philosophie presque toute sa vie, il était lié au monde universitaire, enseignant les laïques ainsi que ceux qui se préparaient au sacerdoce. Toujours exigeant, tout d’abord pour lui-même et puis pour les autres. Dans son comportement, rien n’existait entre « oui » et « non ». Tout était clair et pour entretenir la foi catholique pure, aucun compromis n’avait droit de cité.
L’un de ses lourdes mais aussi très importantes charges, était la charge d’exorciste. Ses compétences ont été reconnues, non seulement dans son île mais aussi dans l’Espagne continentale. Pour tenir la charge d’exorciste, il faut mener une vie spirituelle profonde et sainte.
L’œcuménisme tenait une place importante dans son cœur : il connaissait toutes les religions présentes à Majorque et il gardait une relation très cordiale avec les responsables de ces religions. Il s’est d’ailleurs engagé, comme délégué épiscopal pour l’œcuménisme, à préparer les assemblées de prière. Il gardait le même engagement envers les Églises et les communautés chrétiennes en préparant la semaine de prière pour l’unité des chrétiens.
En 1975, il a été nommé Recteur du Grand Séminaire. L’évêque en le nommant recteur, l’a supplié de ne pas renvoyer tous les séminaristes. Finalement, en la personne de don Lorenzo, les jeunes ont fréquenté un fervent témoin du Christ et un fils fidèle de l’Église. Il accordait une grande importance non seulement à la préparation intellectuelle mais aussi à la préparation spirituelle. Pour lui, les prêtres devaient être des personnes particulièrement liées au Christ par la prière.
Il a accepté, avec grande joie, la fonction de vicaire épiscopal pour la vie consacrée. Il n’existe aucune communauté de religieux et de religieuses dans le diocèse, qui n’ait pas profité de don Lorenzo pour la nourriture spirituelle. Il a été très souvent invité par diverses congrégations pour leur prêcher des retraites, des conférences ou des journées de récollection. Et de nombreuses personnes l’avaient comme père spirituel. Il voyait la vie consacrée dans l’Église comme une perle qui l’enrichit.
Son service préféré était la charge de chanoine pénitencier de la cathédrale. Chaque dimanche, il confessait les fidèles pendant quelques heures, et comme polyglotte, de nombreux touristes. Il disait avec tendresse que son confessionnal était sa deuxième petite maison. Il y était fidèle, l’ayant très rarement abandonné le dimanche et s’il le fallait, il cherchait quelqu’un pour le remplacer.
Il faut ajouter qu’il s’occupait de la paroisse francophone de Majorque. Ce service lui permettait de se rappeler ses origines de côté de sa mère.

Familier de la Confédération des Chanoines Réguliers de Saint-Augustin
Don Lorenzo a été accueilli comme familier de la Confédération des Chanoines Réguliers de Saint-Augustin par le Père Abbé Primat, Mgr Angelin Lovey CRB, en 1983. Il était très fier de cette appartenance à la famille canoniale. Il a rendu d’immenses services aux différentes congrégations des chanoines réguliers, n’oubliant pas les chanoinesses du Latran auxquelles il était très attaché. Ses conseils, son engagement et son travail (paraissant quelquefois impossible) ont créé de véritables amitiés et une communion profonde. Il participait avec joie aux congrès canoniaux où, avec une cordiale discrétion, il voulait connaitre tous les participants. A chaque fois, il s’est réjoui en voyant de nouveaux jeunes confrères chanoines.

Don Lorenzo, durant ses dernières années, a tour à tour perdu ses forces physiques, refusant peu à peu diverses responsabilités mais il a été actif jusqu’à une semaine avant son départ vers le Père. Malgré quelques difficultés, il ne se plaignait jamais, il n’aimait pas quand l’attention des autres se concentrait sur lui. Toujours uni au Christ, il a rendu son dernier soupir, le dimanche 13 janvier, à l’heure de l’Angélus, en tenant dans sa main un crucifix, celui que tenaient dans leurs mains son frère et sa mère, au moment de leur départ pour le Paradis et que don Lorenzo gardait précieusement.
En la personne de Don Lorenzo, l’Église, son diocèse et notre Confédération ont perdu un Fils fidèle, qui avec une immense passion exerçait le ministère sacerdotal.
Tristes humainement mais heureux dans la foi en la résurrection et pleins de remerciements, nous Te disons : don Lorenzo « a Dios » et à bientôt, là où nous posséderons, comme nous dit l’Écriture : ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé.

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